Tunisie : L’immolation, expression de détresse dans un silence social

Rédigé le 12/05/2025
LeMag .africa


Depuis le début de l’année 2025, la Tunisie fait face à une augmentation préoccupante des suicides par immolation. Près d’une vingtaine de cas ont été recensés au centre de traumatologie des grands brûlés, un chiffre qui ne reflète qu’une partie d’un phénomène profondément ancré, mais encore largement tabou dans la société tunisienne.

L’immolation par le feu, geste extrême et spectaculaire, s’est imposée ces dernières années comme l’un des moyens de suicide les plus visibles en Tunisie. Selon les chiffres de l’Observatoire social tunisien, rien qu’en janvier 2025, six personnes ont tenté de s’immoler, dont plusieurs adolescents et élèves, certains âgés d’à peine 13 ans. Ce mode d’autodestruction, qui ne représentait avant la révolution de 2011 qu’une minorité des cas, est aujourd’hui devenu un symbole de la détresse sociale et de l’absence de perspectives.

En décembre 2010, l’acte de Mohamed Bouazizi reste dans toutes les mémoires : son immolation avait déclenché la révolution tunisienne et inspiré d’autres gestes similaires, souvent perçus comme des protestations contre l’injustice, la précarité ou l’humiliation subie face aux institutions. Depuis, la répétition de ces drames révèle un malaise profond, où la souffrance individuelle se transforme en appel collectif à l’aide. Les scènes d’immolation se déroulent fréquemment dans des lieux publics, devant des commissariats ou des bâtiments officiels, soulignant le conflit entre citoyens marginalisés et représentants du pouvoir.

Les victimes sont majoritairement des jeunes, souvent chômeurs ou issus de milieux précaires. On note aussi une augmentation des cas chez les élèves et les personnes mariées, soumises à des pressions économiques et sociales croissantes. Les motivations sont multiples : difficultés financières, échec scolaire, troubles psychologiques, mais aussi sentiment d’exclusion et de perte de repères dans une société en difficulté.

Face à ce fléau, les professionnels de santé et les associations tirent la sonnette d’alarme. Le Dr Amen Allah Messadi, spécialiste du sujet, insiste sur la nécessité d’une prise en charge globale, mêlant soutien psychologique, action sociale et prévention. Cependant, le silence qui entoure le suicide en Tunisie, renforcé par la stigmatisation et le manque de ressources, complique la mise en place de solutions efficaces.

L’immolation interpelle la société tunisienne sur ses fractures et ses silences, par sa violence et sa visibilité. Derrière chaque cas, c’est un cri de détresse qui s’élève, un appel à repenser les mécanismes de solidarité et à briser le tabou autour de la souffrance psychique. Tant que ces voix resteront inaudibles, le feu continuera de consumer les plus vulnérables, dans l’indifférence.